Episode 2 - Un mariage et un enterrement (1)
Récit de Ténaris Manteaulion
Assis sur une petite banquette en bois, rembourrée d'un léger coussin de velours pourpre, Ténaris écoutait studieusement la grosse femme s'époumoner à tenir une note bien trop aiguë. Sa culotte le grattait. Il n'arrivait toujours pas à se faire au tissu que l'on avait choisi pour lui. Bien que la coupe, elle, était parfaite et tombait harmonieusement sur ses formes, la matière du vêtement était pour sa peau trop inhabituelle au touché. Il avait du débattre pendant presque une bonne demi-heure avec le couturier choisi par Enguerrand pour que tout deux tombent d'accord sur le compromis d'un style commun. Décidément les différences entre nos peuples ne s'arrêtaient pas à quelques considérations culturelles.
Se tournant vers son hôte, il lui rendit un sourire poli bien qu'un peu crispé. Enguerrand semblait trouver le temps aussi long que lui. Les festivités commençaient par un spectacle chanté aux décors somptueux bien qu'un peu chargés. Plusieurs des «tableaux», c'est ainsi que lui avait été présenté les différentes déclinaisons de cette œuvre, avaient pourtant trouvées grâce à l'oreille de Ténaris plus habituée aux mélodies sourdes et entêtantes des veillées qu'à ces envolées lyriques un peu criardes mais il ne pouvait que reconnaître la maîtrise et le professionnalisme des participants.
L'intervention, semble t'il plus qu'attendue, de Dame Mélaro Martel eu tout le panache escompté. La grâce et la volupté qui entouraient cette femme touchaient au divin. Bien qu'il n'eut guère eu le loisir d'admirer des représentations des déesses qu'étaient Waukyne et Sunie il n'aurait pas été un affront de prendre comme modèle une telle mortelle, empreinte d'un tel charme et d'une telle beauté. Ses gestes lents et sensuels, proche du caractère félin qu'était Bastet compagne fière et guerrière du noble Nobanion, imagés à merveille les propos de ses chansons. Sa voix n'était que miel aux oreilles de Ténaris.
Cette femme était t'elle la féminité faite chaire ?
L'arrivée d'Aryon sur scène sortit Ténaris de sa rêverie. Il ne s'en sortait pas si mal. Enfin c'est ce qu'il prévoyait de dire au suivant de Lathandre, nul raison d'envenimer d'avantage les choses entre eux. La subtilité n'était pas son fort et il craignait qu'un compliment trop élaboré fut prit pour une insulte.
Il y avait dans ces festivités quelque chose de dérangeant pour Ténaris. D'un côté il ne pouvait se résoudre totalement à ce mariage, bien qu'il ne partageait pas les mêmes visions que les adorateurs de Heaum sur la vie et la société, il avait été touché par le sort d'Agathe, contrainte d'étouffer sa passion pour un mariage de raison.
«La raison d'état à des amours, que l'Amour ignore.»
Dans ce sens cette expression populaire sonnait bien mal, et il y avait assurément une raison à cela. Il repensait à son entretien avec Agathe quelques jours plus tôt et à ses paroles qu'il avait voulu rassurantes. Il n'était pas chez lui et il ne pouvait pas se permettre de créer d'impairs, voir pire, en poussant cette jeune fille à tout quitter pour suivre sa propre voix. Assurément les mots lui seraient venus plus aisément dans ce sens. Il lui avait conseillé la patience et de ne pas oublier qu'une femme pouvait tout autant qu'un homme être maîtresse en sa demeure.
Et d'un autre coté toute cette mascarade ressemblait au dernier acte d'une fin de règne.
«Nous nous trouvons au sein d'un théâtre continu», n'étaient-ce pas les paroles proférées plus tôt par Enguerrand. Tous s'amusaient en feignant plus ou moins bien d'oublier les dangers qui se réveillaient au delà de leurs murs. Était ce pécher d'orgueil ? Ou l'aveuglement obstiné d'une déchéance annoncée.
Les choses tournaient peut être ainsi depuis le début de leur empire, qui sait. Un empereur se succédant à lui même depuis près de deux cents cinquante ans dans l'ignorance générale, un dieu dragon qui n'a de Divin que le pouvoir de terrasser celui qui le contredisait sur ce point, des postes fantoches juste bon à occuper les familles nobles dans des jeux de succession incessants pour les éloigner de la réalité et de la vacuité de leur propre existence.
Nous étions bel et bien dans un théâtre. Où les acteurs prisonniers de leur propre réalité se contentaient de reproduire ce que leurs parents et ancêtres avait joué quelques années avant eux. Mais qui détenait les ficelles grossières de ces poupées de chiffon. Le triumvirat dirigeant, composé de l'Empereur et de ses deux ministres de la magie et du culte ? Ashardalon dormant potentiellement depuis belle lurette d'un sommeil de reptile ? Ou quelques dieux s'étant amusés à leur dépend dès la genèse de cet empire et ayant laissé de coté leur jouets pour un temps donné. Shar en tête de cette liste bien entendu.
Je gardais mes réflexions pour moi même, ne désirant pas d'un coté créer un nouvel incident diplomatique et d'éviter d'un autre de donner de l'eau au moulin de Chaca et l'entendre digresser encore pendant des heures sur ses innombrables théories.
J'avais appris à connaître et à apprécier mes nouveaux compagnons, bien qu'il me faille assurément un peu plus de temps pour Aryon. Mais était ce moi qui avais des aspirations trop humble à jouir des plaisirs simples de la vie, ou eux qui se compliquaient la leur dans la complexité de leur citée.
«L'évidence» était assurément une notion commune bien difficile à partager en ce monde.
La semaine de festivités s'écoula. Je me joignis de prime abord assez froidement aux différentes épreuves. La peur de l'échec n'était pas ma première préoccupation mais plus la sauvegarde de l'honneur de ma tribu et de mon père. Je ne m'estimais pas incompétent dans ces différentes épreuves, mais je ne m'étais pas spécialement entraîner ces derniers mois à la réussite de celles-ci dans le seul but de me pavaner les lauriers en tête.
À la clôture du tournoi de monte, arrivé en troisième place, je ne reçu aucune remarque désobligeantes de la part de ces courtisans quand à l'échec d'un barbare face aux nobles chevaliers. Les aurais je mal jugé sur ce point ? Tout comme eux, je me rendis compte que j'étais peut être pétri d'un certain apriori sur leur style vie. Nous aurions donc des choses à apprendre des uns des autres ?
C'est l'esprit plus apaisé que je me joignais donc à différents concours recueillant à ma grande surprise les égards de quelques jeunes nobliautes.
À chacune des soirées nous profitions de rencontrer les membres actifs de la société de Lhesper en recherche d'informations ou d'alliés, avec plus ou moins de réussite. Notre entrevue écourtée avec le haut prêtre de Jergal me laissa un arrière goût de désarroi. Je pensais naïvement trouver en lui un allié potentiel et un accès à l'ordre d'Ibis. Mais en connaissait il simplement l'existence ? Peut être nous cachait il son jeu, l'ordre d'Ibis restant une société secrète et ses agissements encore plus mystérieux. De toute façon ces réunions de salons étaient d'avantage l'univers d'Enguerrand que le notre. Même si j'espérais qu'il gardait plus en tête notre mission que ses intérêts financiers et familiaux.
Arriva le concours de poésie, je fus assez surpris de trouver une telle épreuve parmi toutes les autres récompensant principalement le talent martial. Il me fut agréable de trouver en Enguerrand un poète émouvant aux notes teintées de nostalgie pour sa défunte mère. Chaca ne pût comme à son habitude se contraindre au silence, ne voyant dans l'attitude de son mécène qu'une basse manœuvre pour s'attirer les attentions des jeunes filles présentes. Pourtant je ressenti une sincérité dans les propos de notre compagnon orphelin d'une mère tant aimée. On ne peut toujours porter un masque, la vérité trouve toujours un passage vers la lumière.
Notant mentalement les personnes présentes à ce tour de geste, je ne pus m'empêcher à ma troisième intervention de glisser une œuvre créer à la volée qui assurément parue plus que sibyllin. Je gardais l'espoir secret que certain de mes propos réveilleraient l'attention de quelques alliées potentiels.
«Je n'ai rien demandé que des chants à sa lyre,
Des soupirs pour une ombre et des hymnes pour nos dieux,
Puis, quand l'âge est venu m'enlever son délire,
J'ai dit à cette autre âme un trop précoce adieu :
"Quitte un coeur que le poids accable !
Fuis ces villes de boue et cet âge de bruit !
Quand l'eau pure des lacs se mêle avec le sable,
Le cygne remonte et s'enfuit."
Honte à qui peut chanter pendant que Lhesper brûle,
S'il n'a l'âme et la lyre et les yeux de son Dragon,
Pendant que l'incendie en fleuve ardent circule
Des temples aux palais, du Cirque au Panthéon !
Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme
Sur le front de ses fils voit la mort ondoyer,
Que chaque citoyen regarde si la flamme
Dévore déjà son foyer !»
Je ne sais comment mes propos ont pu être interprétés. Avec le recul j'ai moi même parfois des difficultés à y trouver le message que j'y souhaitais. L'inspiration du moment, si le sens des mots n'a pas trouvé résonance auprès d'eux j'espère tout du moins que ma passion à fait son œuvre.
Notre entreprise connut un succès tout relatif auprès de l'ambassade naine qui d'ailleurs ne semblait avoir que peu d'accroches à Lhesper et encore moins dans l'Empire. Les affaires naines se règlent entre nains comme l'on dit. Notre attention fut attirée par un évènement fâcheux survenu dans une de leur mine nouvellement rouverte, les mineurs n'ayant plus donné signe de vie depuis quelques temps une expédition fut lancée pour en trouver la cause... Mais celle-ci à son tour disparut. Voyant potentiellement en cela un lien avec la porte des-crocs-de-fer de nouvelles suppositions jaillirent parmi les nôtres. Et si les gnolls se propageaient dans le Shaar via l'Outreterre, cela pourrait expliquer la discrétion de leurs mouvements. Nous savons déjà que Lhesper à été construite sur les ruines d'une ancienne citée naine, elle même reliée au complexe des tunnels de l'Outreterre. Quel meilleur moyen de prendre une citée que camouflé sous ses pieds ? Et de récentes informations nous ont laissé à penser que Lhesper serait après sa destruction immergée sous les eaux. Est il possible que le lac adjacent se déverse dans ses rues si par quelque magie les fondations de Lhesper se retrouvait saper ?
Encore de nouvelles interrogations... Quoi qu'il en soit nous avons décidé que cela soit fructueux ou non de porter assistance aux nains, peut être de futurs alliés précieux.
Des nouvelles du nord nous apprirent que l'armée de l'Empire connue ses premiers déboires au contact de maraudeurs gnolls. Hélas cet événement semble être passé inaperçu parmi beaucoup des convives.
L'heure du mariage approche et je ne peux m'empêcher de penser à cette pauvre Agathe, contrainte et soumise.
Un mariage de raison ?
La raison ne voudrait elle pas de régler les problèmes qui leur pendent sous le nez plutôt que d'essayer de les camoufler telle la poussière entassée sous un tapis par un serviteur peu besogneux. Le mariage sera pour moi une épreuve, acculé par ces faux semblants et ces tyrans se pavanant pendant que sous leur pied leur monde s'effrite peu à peu.
Nous nous regardoions tous l'air hagard comme soufflés par le grand Ashardalon lui même. L'annonce avait été si brutale. Nos esprits mettaient ce qui nous semblait une éternité à assimiler l'information. Agathe est morte.
Un suicide ?
Ma première vision est celle de cette jeune fille s'étant donné la mort. Plusieurs flashes m'assaillent à cet instant.
Le rouge vif de son sang coulant sur ses poignées d'un blanc de nacre.
Son corps désarticulé pendant mollement, ses draps de noces enroulés à son cou, pendue dans sa chambre comme une vie qu'elle aurait rangé à la va vite.
Son corps froid, étendu dans une position improbable, son visage figé dans un rictus macabre effleurant le pavé recouvert de mousse d'une cour donnant sur la fenêtre sa chambre, s'étant jetée de celle-ci.
Un assassinat ?
Pourquoi ? Qui cela ? Pour atteindre qui ?
Le glas résonne à l'instant même où nos regards se croisent. Tous finissent leur chemin sur Enguerrand.
Dans ce triste théâtre, la jeune Agathe à été poussé en coulisse.
Rideau.
Récit d’Enguerrand Shieldheart
La ville est en ébullition car demain commencera une semaine de festivités.
Ténaris se fait prier pour rester en ville et assister aux différents événements. Dire que le commun des courtisans vendrait père et mère pour y être invité. J’ai néanmoins confiance en sa présence. Cet homme est droit et n’a aucune raison de ne pas faire d’efforts après les risques que j’ai pris pour l’aider à retrouver les siens. Tous autant que nous sommes, nous sommes liés par le savoir d’un sombre avenir.
Je le laisse seul un instant avec Aryon pour donner quelques consignes. Quelle mauvaise idée ! L’air est orageux quand je les retrouve. Le paladin, bien qu’aussi croyant de Lathander qu’Aragnel, est beaucoup moins courtois et patient. Quel idiot je fais en oubliant parfois qu’Aryon Martell a bien des points communs avec mon propre père. Le bon droit appartient à ceux qui dirigent et de fait, les choses établies comme vrai par la haute noblesse ne sauraient être remis en question. De l’autre coté, Ténaris n’en est pas moins pétri de convictions. Sous couvert de promouvoir le libre arbitre de chacun, c’est un objecteur de conscience encombrant par moment.
Tel est mon chemin de croix, composer avec trois idéalistes… et un mage névrotique.
Les préparatifs me laissent peu de temps pour voir ma famille. Connaissant oh combien chaque spectacle et chaque soirée seront denses, je conviens avec mes compagnons de divers interlocuteurs à rencontrer. L’objectif est complexe : obtenir des informations et identifier les appuis potentiels sans pour autant attirer l’attention sur nos recherches. Je leur intime la plus grande prudence car les sourires les plus aimables peuvent cacher des loups sans pitié. Je vais devoir ne pas les perdre de vue.
Au premier jour, le spectacle proposé par les Martell au théatre impérial. Lady Mellaro, l’épouse de Doran, l’ainé qui dirige Derlusk depuis la mort du père de famille, fait sensation en meneuse de revue. La quarantaine bien conservée, elle réussit à tenir l’attention du public malgré une œuvre interminable. Ce faisant, cela laisse largement le temps de voir qui est présent.
La pièce terminée, j’explique à mes compagnons que la représentation n’est pas finie pour autant. A la cour, voir compte autant que d’être vu.
L’entretien avec le prêtre de Jergall, têtu comme une bête de somme, ne donnera rien.
De mon coté, fidèle à l’image de gestionnaire du patrimoine des Shieldheart, je finis par deviser avec le prêtre de Waukeen. La bonne affaire : la foi au service de l’argent-roi. Comme beaucoup de monde ici, cet homme est redoutable. Je tais mon envie de soustraire à ses doigts adipeux une des nombreuses bagues ostentatoires qu’il agite d’une fausse nonchalance. Lui et moi nous comprenons, nous faisons partie du système. J’amorce l’idée de tractations futures... En attendant, il se frotte les mains, il a vendu aux d’Abancourt une cinquantaine de potion de rajeunissement d’un an. A trois cent pièces d’or pièce, cela représente une somme rondelette. Je lui en achèterais prochainement, pour voir… De mon coté, je lui évoque la vente de ma garçonnière dans un quartier prisé de Lhesper. C’est un placement intéressant… qui ne vaudra plus grand-chose dans un an, justement.
Au deuxième jour, la soirée dans l’ambassade des Ashanti se déroule paisiblement. On est loin de la réputation des fêtes très polissonnes qu’ils donnent dans la lointaine Sheirtalar.
C’est le meilleur moment pour aborder Don Alessandro Ashanti. Toujours à son aise, avec ou sans sa garde rapprochée de duellistes au cimeterre flanqué d’un vieux mage, notre hôte m’accorde une entrevue après quelques mots échangés avec Chaka, le scribe des Shieldheart. Aimabilités convenues, il n’y a pas grand-chose à soutirer de lui. Sauf voir et être vu. Il ne m’est pas difficile de sourire, ayant à l’esprit les prochains entretiens qui n’en seront que plus aisés : les regards portés vers nous remarqueront qu’Enguerrand Shieldheart est en conversation très conviviale avec le porte-parole de l’Empereur… courtisans fortunés, notables établis, confiez-moi vos deniers.
En conclusion, j’assure Alessandro de toute ma sympathique disponibilité à son égard s’il le souhaite. Compréhensif, je le complimente sur sa position enviée, d’autant plus remarquable que les Ashanti sont historiquement liés aux Maerildarraine par leur passé de résistance à l’envahisseur. « Vraiment », Tudhalij 4ème du nom aurait de quoi s’enorgueillir. Je garde pour moi tout commentaire sur l’absence de descendance à l’horizon.
Le troisième jour organisé par les d’Abancourt est dédié au concours de dressage. Parmi les cavaliers émérites, Aryon et son puissant destrier. Affaire personnelle ou démonstration de l’osmose entre l’homme et l’animal, Ténaris créé la surprise en concourant également. Tout deux feront des brillantes prestations. Chaka sourit quand je lui fais remarquer qu’à voir leurs attitudes, les deux hommes déplorent ne pas avoir remporté l’épreuve. Pour un peu, ils n’en apprécieraient pas les témoignages gracieux (et coûteux) de dames de parages fortunées. Celle qui mange des yeux l’homme des steppes devra pourtant se contenter ce soir d’accessoires indignes dans sa couche. Je connais assez Ténaris pour comprendre qu’il ne s’accouple pas sans sentiment véritable. Quelle curieuse idée.
Durant la soirée chez les d’Abancourt, les nobles les plus opportunistes qui soient dans le royaume, je vais porter un toast avec Dame Calliste, la riche propriétaire de la nef du Ciel.
Nous mettons en place un partenariat provisoire. S’il est concluant, les productions de nos vignobles remplaceront l’infâme piquette servi dans ses bateaux. En dehors de cela, je l’invite à mots très couverts à la plus grande prudence vis-à-vis du réseau d’espionnage de l’Empire. Les oreilles indiscrètes qu’elle emploie sur ses navires ne sont pas suffisamment… discrètes. La sachant friande de jeunes éphèbes, je lui demande si elle ne s’ennuie pas à devoir en permanence dicter à son personnel inexpérimenté ce qu’ils doivent faire et quand ils doivent le faire. J’ajoute également, tout en maintenant l’équivoque, que nous devrions partager nos expériences, nos connaissances. A commencer par quelques informations. J’apprends notamment qu’une garnison de l’armée s’est fait sévèrement rétamer par une escouade de gnolls dont le chef, créature à la peau blanche décapitait les têtes des soldats... Syllion Aswhands aurait envoyé une troupe plus conséquente qui serait finalement revenue avec quelques prisonniers.
Ces informations n’ayant que très peu filtré, nous décidons de ne pas asticoter le ministre des armées dont la réputation de caractériel versatile n’est plus à faire.
Il serait d’ailleurs dommage, qu'à cause d'un manque de discrétion, de voir gâcher un rapprochement naissant avec Dame Calliste…
Au quatrième jour, les festivités ont lieu à l’ambassade des Maupertuis. Parmi les participants au tournoi d’archerie, Ténaris, Théodore Shieldheart, Oberyn Martel, Jean d’Abancourt et Oder Skady. Le dernier, fidèle au Red Knight, fait partie des favoris. Mon frère semble très en forme. Après avoir misé secretement une somme rondelette sur Jean d’Abancourt, je glisse à mon frère qu’il serait noble de sa part de laisser Jean –notre parent- , dont la famille est en perte de vitesse, remporter l’épreuve. J’ai cru à tort qu’il serait facile à mon frère de décocher une flèche un peu moins précise. Au lieu de ça, il rougit et l’air hagard fait n’importe quoi. Oberyn n’est pas dupe et éclate la flèche de d’Abancourt avec une précision insoupçonnée. Au bout du compte, Oder Skady remporte l’épreuve. Qu’importe l’argent perdu… alors afin d’éviter toute esclandre, j’assure mon frère qu’indépendamment du résultat, son geste l’honore.
Ce soir et les deux qui suivront seront l’occasion de me rapprocher des ambassadeurs des nations voisins : Calimshan, Tethyr. Si le futur qui nous est promis est aussi sinistre dans les récits de Chaka, avoir des amis de l’autre coté des frontières n’est pas un luxe inutile. En plus de convenir de divers échanges commerciaux, je déniche dans la délégation du Calimshan un mage ayant retenu que mon scribe avait besoin de connaître ses interlocuteurs pour échanger des mots quelle que soit la distance. Chaka est également très heureux de pouvoir échanger et parler de son Art avec un confrère non aliéné au ministère de la magie.
Le cinquième jour sera celui du concours de poésie, organisé par la famille Martell qui au-delà d’abriter des guerriers accomplis a toujours été versé dans les arts du spectacle. Je plaisante avec mon proche entourage en recherchant un mouchoir de soie si nous devions avoir les oreilles qui saignent.
Evidemment, Lady Martelo est inscrite. Mais aussi Ténaris. Cela n’est pas surprenant, nous avons pu de nombreuses fois apprécier près du feu dormant les chants ancestraux de sa tribu. Il y’a dans l’assistance quelques minois ravissants. Je dois aussi me rapprocher du ministre de la justice Charles Gurpegui dont je connais les penchants pervers. De fait, afin d’asseoir mon étiquette de libertin éclairé, je m’inscrit également, armé de quelques formules promptes à troubler le beau sexe.
« La mélancolie quoi qu’on en dise
Sublime l’heure et les saisons
Telles douces-amères friandises
Qui n’auraient de douceur que le nom
Ajoutez-y à votre guise
Un peu de menthe et de citron
Puisse enfin la brise, les lueurs du couchant,
Guider sans faillir… hanches et palpitants...
Louons, mes beaux princes,
A la vie, à la mort,
Ces langueurs qui soignent,
Le cœur, l’âme et le corps »
Bien que moins entraîné que Ténaris et Lady Martelo qui font de belles prestations, mon premier passage s’avère concluant. Quelques sourires de ci de là. Bien, je vais pouvoir être plus explicite encore…
« Les demi-lunes plus que nulle autre
Elèvent l’âme et la raison,
Quand Mesdames m’en fait l’apôtre,
Il n’est qu’à regarder l’horizon.
Comment bientôt ne pas frémir
Sous le coup d’autant d’émotions
Quand passé minuit, Reines et Vagabonds…
Mêlent sans faillir… chaînes et violons.
Louons, mes princesses,
A la vie, à la mort,
La fraicheur de ces nuits
Qui terminent aux aurores
Chérissons nos émois,
La partie, ma foi
Se pratique joue contre joue
Couché, assis ou debout
Louons, mes beaux princes,
A la vie, à la mort,
Ces rondeurs qui trahissent
La déesse qui s’ignore… »
Un regard dans l’assistance m’assure du résultat escompté. Bien sur des mines dubitatives d’ignares armurés qui n’ont compris aucune des allusions mais aussi quelques joues empourprées, des applaudissements dont ceux de Gurpegui et surtout un signe d’acquiescement d’Hilda et Chiara. J’ai mon invitation à la soirée fine très privé qui aura lieu à la maison du Lac après le feu d’artifice. Ma petite entreprise…
Ténaris n’est pas en reste pour évoquer le corps et le cœur mais voilà lady Melaro qui s’applique à nous reprocher avec brio l’affection charnelle et spirituelle que nous décrivons.
Elle est ravissante, il est vrai, néanmoins les putains en liberté sont dangereuses. M’assurant que tout les yeux sont braqués vers elle, je verse dans ma coupe les dernières gouttes de la mixture alchimiste qui fait pleurer avant de reprendre la parole :
« Madame. Mesdames. Je dois vous présenter mes excuses si a un seul moment vous avez pu vous sentir non respectés.
Mon cœur, il est vrai, saigne d’une blessure qui ne guérira pas… »
Je reprends une gorgée, puis en regardant le vide, hagard :
« Un pas, une pierre,
un chemin qui chemine.
Un reste de racine,
C’est un peu solitaire.
C’est un éclat de verre,
Ce devait être le soleil,
C’est la mort, le sommeil,
C’est un piège entrouvert,
Des mains qui me lacèrent.
Pourquoi m’avoir laissé…
Mère ? »
Quand je me tourne vers l’assistance, on peut voir une onde lacrymale sur mes joues. Les yeux rouges, le regard fuyant, je m’éloigne tandis que quelques dames de parages très émues me tendent des mouchoirs de soie. De qualité variable.
A l’écart, mon regard croise celui de Dame Calliste et nous échangeons un bref sourire.
Je vois Aragnel porter la main à son cœur et lever les yeux au ciel, tandis que l’imperturbable Chaka semble acquiescer. J’ai l’impression que Ténaris me voit sous un jour nouveau et je saisis au vol son regard lancé à ma sœur. Etrange...
Quand c’est son tour, Ténaris livre une brillante composition, sorte d’oraison funèbre accusatoire de notre torpeur devant l’imminence du danger. Evidemment, l’assistance n’y comprend pas grand-chose. Ce qui est rassurant, c’est de voir que cet homme aura assez de présence pour en mener d’autres le moment voulu. Je ne m’y suis pas trompé : son indéniable succès est aussi le mien.
Qui avant moi a fait venir à la cour un seigneur des steppes ? Ténaris n’est pas à proprement parler un chef mais il sait parler comme tel et dépasse mes espérances.
C’est au tour de Lady Mellaro de conclure. Il se passe quelque chose. Sa voix, ses mots… Mes mains sont moites. Je m’adosse, un peu sonné. Quand elle termine, voilà que j’applaudis… pour la remercier !? Mais… mais je pleure ? Ce n’est pas possible, je n’ai jamais failli à mon serment de ne jamais pleurer bien que les occasions n’ont pas manqué… Sous les vivas, Lady Mellaro triomphe.
Je dois comprendre. Comprendre pour ne plus perdre le contrôle.
C’est à notre tour d’accueillir au sixième jour pour le tournoi de joute. Il était temps pour Aryon qui ne tient plus en place. Après quelques tours, il demeure présent parmi les champions restants. L’instant de vérité arrive : il va jouter face à Théodore. Les dieux de la guerre sont avec lui car il réussit à désarçonner mon frère ! Il hésite quelques instants car cela suffirait à le déclarer vainqueur. Il descend finalement de selle, sous les applaudissements des vrais nobles, affronter Théodore qui finira par l’emporter après une âpre bataille.
De son coté, Oberyn Martell triomphe de son adversaire. Le combat final verra la victoire d’Obéryn.
Note à moi-même : Obéryn est meilleur archer et combattant que Théodore.
Notre père ne le montre pas mais je sais qu’il est mécontent. Si seulement il pouvait lever son noble séant, hisser son cul sur un palefroi et s’empaler sur une lance brisée… Je saurais quoi faire de notre patrimoine.
Durant la soirée, je recommande à mes compagnons d’infortune d’aborder le représentant des nains.
De mauvaise grâce, Chaka s’en acquittera avec Ténaris et Aryon.
Leur rencontre s’avérera fructueuse, peut-être de futurs alliés ?
Au septième jour, le tant attendu feu d’artifice car c’est le seul événement visible par le peuple tout entier. C’est simplement magnifique, les gerbes étincelantes de lumières se reflètent sur l’eau lisse du lac. Durant ces jours de festivités, Aryon a eu l’occasion de nouer le contact avec Chavrias, le representant de Red Knight, afin de connaître ses effectifs potentiels militaires. Disons plutôt des mercenaires. Je veux bien les bénir s’ils se battent à ma place, l’orgueil guerrier m’est une notion inconnue.
Chaka et les autres ont « cuisinés » Senoj l’aventurier, le mage contractant je ne sais quoi avec l’argent qui n’est pas le sien.
Le mage – toujours lui – a tenu également à rencontrer Gaelotti, du Temple de Savras. Si ce pseudo-devin avait quelques dons avérés, il serait déjà en train de quitter Lhesper avec tout l’or amassé en vil bonimenteur qu’il est.
Avant la prochaine rencontre, je reprends Chaka sur son comportement de plus en plus familier. Allez, plus qu’une journée et vous pourrez remettre ce sinistre sourire agaçant sur votre face. Pour l’heure, nous allons rencontrer une figure importante : Seerenrae Maerildarraine.
La vieille femme est redoutable, son esprit est vif et aiguisé. Quand je lui présente mon scribe, sa question sur son origine obtient la meme réponse que pour Dame Calliste : Silverymoon.
Au-delà de quelques politesses, nous sommes prudents, elle et moi. Je lui fais part de mes échanges avec Alessandro Ashanti sur le bien-fondé de voir très rapidement une ambassade Maerildarraine à Lhesper, afin de voir toutes les familles rassemblées...
L’intérêt est double pour moi. Car si les dirigeants d’Ormpur oeuvrent réellement dans ce sens, cela les excluraient de facto comme fomenteur de ce qui se prépare… Je ne perds pas de vue que quelqu’un, ou plusieurs personnes d’ailleurs, puisse être de mèche avec la horde qui s’agite à nos portes.
Au travers de nos échanges, il est nécessaire qu’elle comprenne et entende que je fais partie de l’échiquier politique du royaume et que j’ai le souhait d’être considéré comme un allié avant de devenir prochainement, sous des jours heureux, un parent quand sa fille Hamat convolera en épousailles avec mon frère Théodore. Rusée, elle ne manque pas de me présenter son autre fille pour un futur… rapprochement. Agée de quinze printemps, elle aura peut-être le potentiel d’être aussi belle qu’Hamat dans quelques années. Nous verrons bien si l’avenir me laissera le temps de vérifier si cette petite a le diable chevillé au corps.
Je laisse ensuite Chaka un moment avec elle. Pas besoin de lire sur leurs lèvres. Ce n’est pas comme si je n’avais pas confiance…
Allez, je saisis Aryon au passage -dont la compagnie a l’avantage d’être dénué de versatilité- pour la soirée d’ivresse que je lui ai promis. L’endroit est toujours aussi… agréable. Le soir du feu d’artifice, beaucoup de notables de Lhesper aimeraient être ici pour prolonger la fête. Aryon découvre grace à moi le saint des saints, lieu méconnu gardé jalousement secret : les salles privées ou luxe et opulence côtoient la perfection faite femme. Le bon vin aidant, les encens et parfums vaporeux, les coussins confortables et les rideaux soyeux sont autant d’écrins pour de ravissantes beautés habiles dans des troublantes danses lascives. J’ai payé pour qu’il soit très bien traité et que le bon vin coule à flots. Je gage qu’il n’en sera que plus aimable à mon égard par la suite.
Au détour d’un voilage, et le hasard n’a rien à voir la-dedans, je retrouve Charles Guipergui.
Guipergui. Raciste patenté, hédoniste aux mœurs scabreuses… mais riche. Très riche.
Celui-ci émet quelques réserves à me voir ici. Je le rassure en lui disant que mes yeux sont trop occupés à voir les beautés qui nous entourent pour voir qui les admire pareillement. De plus, la seule chose qui sera retenu est que je suis venu avec Aryon Martell, déjà fort occupé dans une pièce voisine mais qui devrait bientôt s’endormir… J’ajoutes d’un ton complice l’expression qui convient à ces lieux : « Ce qui se passe dans le château reste dans le château… ».
Ne pas être pressé. Si Guipergui est un gros poisson dans une petite mare, je suis une grenouille en équilibre sur un nénuphar. Il doit s’habituer à ma présence, comme quelqu’un qui comprend par connivence ses pulsions. Je doit être celui dont il recherchera la compagnie. Il a des envies. J’ai des idées. Et je peux lui fournir le moyen de les assouvir…
En quittant les lieux quelques heures plus tard, je vois Klaus qui m’attend patiemment près du batiment.
« J’ai bien raccompagné sire Aryon… »
Puis voyant que je manque de vomir, reprend :
« Monsieur, que se passe t’il ?
- Ahem... Crois-moi. tu ne veux pas savoir. »
Ce n’est pas le vin. Je sais le boire, j’ai de l’entrainement. Non…Guipergui. Un gros porc… mais très riche. Je ne dois pas oublier ce qu’il y’a à tirer de lui.
Au matin du huitième jour, il est tant de parler seul à seul à ma jeune sœur :
« Agathe. Je sais que ces moments sont difficiles pour toi.
Ce ne sont pas ceux que tu aurais choisis si cela ne dépendait que de toi.
Malheureusement, cela était écrit. Pour autant… Tu auras du pouvoir.
Tu pourras faire le bien autour de toi. Saches que je serais toujours à tes cotés.
- Si c’était le cas, tu aurais empêché cela.
- J’ai fait tout mon possible. Ce Oberyn, tu apprendras peut-être à l’apprecier. J’ai remarqué qu’il avait eu à cœur de t’impressionner. A toi de voir, tu pourrais choisir la simplicité et oublier Rainier d’Abancourt.
- (soupir aigri) …de toute façon, je ferais comme tout le monde à la cour, je menerais une double-vie…
- (sourire)… ou ne pas choisir la simplicité et dans ce cas, je suis tout indiqué pour t’aider à consommer tes secrets.
Reprenant après un silence.
- Tu as une première occasion de tirer profit de cette union qui sera célébré ce jour. Tu sais quelle menace guette à l’orée de la forêt d’Amtar. Tu as toi-même combattu des gnolls sanguinaires. Comme moi, tu n’oublies pas le déchirement de cette femme à qui ils ont arraché époux et enfant….Tu pourrais toute à l’heure prendre la parole et conjurer ton époux et les nobles familles de débarrasser la région des gnolls qui sévissent à nos portes. Réfléchis-y. Ta bienveillance pour les sujets de l’empire ne saurait être mal interprété. Et de plus, n’oublies pas que ce sont les d’Abancourt qui vivent au plus près de la forêt d’Amtar. »
Je connais bien ma sœur. Elle est forte et courageuse. Je lui fais confiance. Elle ne dit rien mais je suis certain que mes arguments font mouche.
Elle se fait un peu prier pour que je la prenne dans mes bras.
« Je t’aime, petite sœur. »
Dans l’après-midi, la cérémonie est célébrée par Cassandre de Menalk en présence d’Angarath X en personne. L’empereur est assis seul sur un banc dans le grand temple dédié à Ashardalon. Le prêtre du Dieu-Dragon affiche une dévotion qui ferait passer Aragnel pour un non-croyant. Certains regardent par terre, singeant l’instropection religieuse pour ne pas croiser le regard du fanatique.
Je jette des regards à Rainier d’Abancourt que j’ai croisé rapidement tout à l’heure. Juste eu le temps de lui dire « Elle ne vous oubliera pas et elle ne le veut pas… ». Pourvu que cet idiot se taise.
Et puis...Agathe mettra peu de temps à se rendre compte qu’il est un poids inutile. C’est joué d’avance. Il sera jaloux, lui fera des remontrances, cela l’agacera au début puis ce sera de l’histoire ancienne en quelques mois.
Après la cérémonie, dernier cortège pour féliciter les époux et les familles Martell et Shieldheart.
La fête est finie. Agathe va désormais vivre chez les Martell. A commencer par ce soir dans leur ambassade ici, à Lhesper.
Le travail n’est pas tout à fait fini. Chacun vaque à ses occupations, Chaka et moi devons faire le point sur les dépenses effectués, congédié le personnel devenu inutile, etc.
La vie reprend ses droits et j’écoute d’une oreille distraite les théories échafaudées par le mage.
Ma mère j'implore votre pardon, rouges sont mes mains
La vie a ses démons qui font de moi un orphelin
Une histoire fatale, trop de larmes ont coulé
Mon destin en effet est immuable, mon âme noyée
Tu ne tueras point, aimeras ton prochain
Résonnent dans ma tête les commandements divins
Et ce long couloir qui n'en finit pas
J'avance dans le noir, il ne me reste que quelques pas
Le théâtre est ouvert, les acteurs biens présents
Les regards sévères se terrent déjà placés au premier rang
Et la marche est lancée au bout du chemin
«Un nouvel appelé» s'écrient les anges du chagrin
Extrait de Le grand pardon, Dabat’chazz (1998)
On me secoue… Qu’est ce que cela veut dire ? Mes consignes sont pourtant claires, je veux être seul au petit matin.
Mais non, je divague. C’est Théodore. Il se passe quelque chose, il me dit de réveiller, de m’habiller.
Je sors rapidement de ma torpeur. Je n’aime pas le ton de sa voix, l’expression de son visage.
« Qui y’a-t-il ?
- C’est… Agathe. Elle est morte. »
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