A l'est, le soleil se lève. Enfin, il inonde mon visage, timidement d'abord, rose, orangé, perçant les ténèbres, faisant reculer l'ombre, éclatant de triomphe, de gloire. Lathender, mon seigneur béni soit le jour.
Ici, près de ce campement, isolé, je me plie à cette vielle tradition, emplir les archives familiales, de mots que sans doute, personne ne lira... Mais cette tradition familiale, centenaire, maintenant, je me dois de l'accomplir. Mes yeux se posent sur la forme ficelée de cet ami de Ténarys qui a faillit tuer hier, bien malgré lui à ce que j'ai compris, mais en ce jour, je ne m'attarderais pas sur cela, non, ce jour est spécial, le passé a hanté mes nuits, des fantômes sont revenus planer sur mes songes... Je pourrais dire que cela a commencé comme cela...
Un lieu, plus paisible, plus joyeux, dans la cité des troubadours, des artistes et des poètes fut ma demeure, j'y ai grandi, entouré de fontaines, de tours s'élançant à la conquête du ciel, avant, il n'y avait pas ce fracas. J'étais jeune alors, un enfant, déjà grand, formé, déformé à combattre, à défendre l'honneur des Martels, fils cadet de la famille, cherchant dans le regard de père, un soutien, un amour que jamais je ne trouverai. Je pourrai écrire, des jours durant, sur ces moments, où dès le point de l'aube, je rejoignait Arken, le maître d'arme, pour gouter à la souffrance du maniement des armes. De l'aube au soir, accumulant fractures, bosses, plaies, ecchymoses, devant le regard aterré de ma poétesse de mère, tendre, fine, fragile. Epées, haches, marteaux, boucliers, lances, harnois... Milles gestes répétés un million de fois chacun, des milliers de chutes, des milliers de remontrances, pour parfois éviter une remarque acerbe sur mon manque d'agilité.
Mais quel intérêt ? Il suffit de regarder une place d'arme pour deviner ce quotidien...
Je pourrais conter aussi mes dégoûts de la "justice" expéditive délivré en notre nom, les tortures, les cris des écartelés faisant un étrange écho à la douce mélodie des flutes et des chants flottant dans le palais.
Mais quel intérêt ? Il suffit de se joindre à la horde le jour d'une execution.
Non, ce jour lointain auquel je pense fut spécial, il reste entouré d'une horreur indicible en mon âme. Et pourtant, il n'avait pas si mal commencé: une belle avait attiré mon regard, mon titre, mes yeux, ma vaillance peut-être avait attiré son corps. Je m'éveillais dans le nid douillet de ses bras, lové au creux de cette paillasse qui en ce temps là me servait de couche. Ses cheveux, aussi brun que les miens sont blonds, couvrait ses épaules, dansaient sur mon torse, ses vallons et collines ravissaient mes mains naïves, sa respiration, douce, tintait comme une poésie dans mes oreilles, sa chaleur éveillait la mienne. Endormant mes sens, ma vigilance. Un instant, posé au milieu de l'éternité, un instant qui danse et s'étire en une durée incommensurable...
Pour finir fracassé par la fureur démesurée de père, et ce sang, rouge, tiède bouillonnant sur nos corps dénudés. Cette vie, douce, tendre, s'effaçant dans un cri qui s'étouffe en lui-même, dans ce torrent d'horreur, d'odeur... Répandu sur mon corps, dans mon esprit, souillant mon âme. Me laissant paralysé de terreur, tout mes reflexes oubliés, me laissant, glacé de larmes et d'une haine profonde... Oh Lathender, lumière de toute chose, fallait-il vraiment en passer par là? Je ne ressenti pas les coups, je sais qu'il criait, m'admonestait, mais je n'entendais rien. J'entendais ce cri presque silencieux, ce râle d'une vie, jeune, prometteuse, belle d'avenir, qui s'effaçait, et se répétait à l'infini, encore, et encore... La douleur physique n'était rien, je faisais face, pour la première fois au fait d'être adulte, c'est-à-dire, parfois, impuissant. Mon oeil ne voyait plus, couvert d'un brouillard rouge, sang. Ma main posée sur ces collines, les sentait refroidir, je ressenti soudain à la fois une douleur aigüe, déchirante, courir le long de ma joue, et l'acier glacé de l'épée qui avait tuée cette beauté.
Néant... Vide... Rage...
Et les réflexes qui remontent en moi, n'était-ce point le but père ? Faire de moi le bras armé de la maison, pour la défendre ? Ces gestes répétés un million de fois explosèrent à la surface, j'étais loin de mon centre, loin de mon équilibre, et comme dans un rêve, je me souviens...
Ce coups de taille, paré en catastrophe en me levant, ce coups d'estoc que j'esquive d'un entrechat, et mes coups qui se mettent à pleuvoir, l'acier qui étincelle, qui s'entrechoque... Père, l'aviez-vous mérité ? Aviez-vous prévu cet estoc soudain ? Qu'avez-vous ressenti lorsque la lame vous transperçait, faisant gicler votre sang, autour de nous, sur moi... Sur moi! Votre regard, hébété, surpris, comme si je n'étais qu'un enfant. Mais l'enfant savait, avait appris. Il vous a tué cet enfant, comme vous avez tué mon innocence en ce jour funeste. J'ai pleuré. Une larme a glissé de long de ma joue gauche, là où mon visage, encore, était indemne. La larme a roulée, innocence envolée, tombant sur votre visage, père. Et là, elle s'est solidifiée, laissant une perle, grise, qui m'a valu l'un de mes surnoms: Larmegrise.
Le reste... Il n'y a rien à raconter, j'ai fuit, terrifié par ce qu'il venait de se passer, honteux, d'être un parricide, mais quelque part justice avait été faite. Elle avait juste partagé ma couche.
Ensuite, plus tard, beaucoup plus tard, j'ai été accueilli au temple, Lathender, était-ce vraiment nécessaire ? J'ai rejoint l'ordre des croisés, des porteurs de lumière pour que jamais, oh non, jamais, une femme sous mon toit ne meure de passions.
Pourtant, récemment, j'ai de nouveau échoué...
Dernière modification le 22-04-2012 à 00:17:29 Derni?re modification le 22-04-2012 ? 09:55:13