J?intercepte un garde mais cet idiot bégaie. Les regards confus de nos gens convergent vers les appartements. Je presse le pas et découvre dans la grande salle mon père assis dans son large fauteuil, au bout de la table. Il se tient la tête entre les mains. Devant lui, un drap recouvre ce qui est vraisemblablement un corps de petite taille. Par terre, son épée, celle qu?il n?a pourtant pas tiré du fourreau depuis bien longtemps, taché d?un rouge carmin et de lambeaux de chair putride.
Je m?approche, soulève le drap et découvre l?impensable : le corps d?Agathe figé dans une posture crispée et à coté, sa tête, dans une expression effrayante et grimaçante, lèvres retroussées et yeux révulsés.
Derrière moi, Chaka ne dit mot mais les traits de son visage hermétique révèle sa complète surprise, à l?instar des mes autres compagnons. Aryon pose sa main sur mon épaule. Un voile sombre passe sur le visage de Ténaris qui rejoint la porte après avoir fait un signe de tête à mes autres compagnons. Aragnel sort le dernier après avoir dit «
Nous sommes à vos cotés ».
Secouant Barathéon, j?apprend ce qui c?est passé : descendu à la crypte se recueillir devant le corps d?Agathe, celle-ci s?est levée et l?a attaquée. Obligé de défendre sa vie face à une créature qui n?était plus sa fille et qui refusait de lâcher prise, il fut contraint de lui couper la tête.
Je regarde à nouveau le corps. Non, ce n?est plus ma s?ur. Agathe a les doigts délicats, les mains douces et les poignets fins. Ces mains-là sont figées dans une position rappelant des serres si ce n?est des doigts recroquevillés dans le mauvais sens et ces ongles blancs sont désormais bruns et cassés pour certains.
Le mal est fait.
Mon père est livide comme si il avait « vraiment » tué Agathe. Quelle ironie, moi qui avais imaginé que tôt ou tard, j?aurais l?occasion de le placer face à ses responsabilités pour avoir jeté ma s?ur dans les bras d?Obéryn, sinistrement surnommé la Vipère. Pas que j?envisageais tirer quelconque satisfaction à le malmener? bien que soit somme toute le mode d?éducation qu?il m?a transmis. En l?état, ce ne sera plus nécessaire.
Je sors, laissant mon père seul avec ses doutes et retrouve dehors mes compagnons. J?envois Aragnel vers Barathéon qui le trouvera sûrement plus digne d?épancher sa détresse. Aryon dont les yeux sont rouges de peine mais aussi de colère contre cette ignominie du malin me regarde avec empathie. Ténaris me dit que je devrais passer du temps avec mon père et que nos devoirs divers attendrons le temps qu?il faut. Chaka interroge le personnel.
J?affiche une expression hermétique. Un tour d?horizon me rappelle le désordre ambiant. Moi présent, cela n?est pas acceptable. Je somme les servantes de se remettre aux travails, les palefreniers d?emmener nos montures et d?en prendre soin et fais venir le maitre d?armes et le vieil intendant. Je les juge responsable de la trainée de poudre qui se répand dans la ville et les somme de dédire les ragots qui enflent. La vérité?
« Notez ! La vérité est que les soldats se seront trompés. Ce n?est pas Agathe qui s?est relevé d?entre les morts. C?est? C?est une créature impie qui était venue voler la dépouille de la jeune sainte, dont la bonté d?âme et la compassion sont une bénédiction pour Kormul, même par delà la mort. Ce monstre était tapi dans l?ombre et n?avait jamais digéré d?avoir été mis en fuite par notre auguste ancêtre, Bron Shieldheart dit Le Purificateur. Notre bon sire a défait en combat singulier la créature et sépara la tête de son corps. Est-ce bien clair ?»
Sans perdre davantage de temps, cette version sort rapidement de l?enceinte de notre château pour être relayé dans les tavernes et les lavandières. Plus fantasque est un récit, plus les hommes veulent le tenir pour vrai, comme si cela amenait de la féérie dans leurs vies étriquées.
Je fais envoyer un message à Théodore pour qu?il rentre d?urgence de Lhesper où il était retourné représenter les Shieldheart quelques jours car demeurer présent à la Cour est nécessaire, son union programmée avec Hamat Maerildarraine ne doit pas faire l?objet de doutes et de commérages.
Nos investigations n?apportent pas grand chose. Celui ou ceux qui sont derrière ce maléfice ont des moyens conséquents pour s?être glissé dans la crypte pour atteindre Agathe, à moins que cela ait été « programmé » au moment de sa mort. Je souhaite que cette seconde hypothèse ne soit pas avérée car cela signifierait que nous avons affaire à bien plus intelligent que nous. Nous devons redoubler de prudence, péché d?orgueil pourrait nous être fatal.
Un peu plus tard, le château a retrouvé son rythme même si il aura fallu menacer de licenciement quelques servantes pleurnicheuses. Il n?y a guère que de mes compagnons que j?accepte des élans de compassion. Peut-être pensent-ils que je me drape d?illusion dans mon rang et mes fonctions au lieu de réfouler l?émotion suscitée par cet outrage. Oui, j?ai peur mais personne n?en saura rien. Comme le disait Aryon à Ténaris lors de leur échange houleux d?il y?a quelques jours, les nobles prennent les décisions car le peuple en est incapable. Le devoir d?un dirigeant, qu?il soit chef de guerre devant ses soldats, prêtre devant ses ouailles ou berger conduisant ses moutons est de demeurer debout qu?il vente, qu?il neige ou qu?il pleuve.
Je ne pourrais pas m?attarder au château car nous devons continuer de nous mobiliser et tout faire pour empêcher la catastrophe annoncée pour Lhesper et ses funestes conséquences pour le royaume. Je rejoins donc mon père pour le remettre dans son rôle de chef au plus vite. Aragnel me voyant arrivé me cède la place et en me croisant s?abstient de me servir quelques mots. Que pourrais-t?il me dire, d?ailleurs ? De « voir la Lumière par delà les Ténèbres » ? Regardant mon père, pathétique en cet instant, le seul précepte religieux qui me vient en tête et dont je ne sais plus s?il revient à Lathander ou Chauntéa est que « l?on récolte ce qu?on a semé ». Ces mots me viennent mais je ne les prononce pas.
Une fois la porte close, à l?abri des regards, je m?assois près de lui posant ma main sur la sienne sans vraiment savoir pourquoi. Un peu plus tard, je sens la chaleur de son étreinte.
« Chhhhh? Je suis là. », dis-je à voix basse.
Là. Pour quelle obscure raison d?ailleurs sommes nous toujours là? Hélène et Agathe devraient être vivantes et lui et moi devrions être morts. Ignorant sa barbe humide contre ma joue, je regarde les fauteuils vides.
Je revois ma mère, calme et douce. Je revois ma s?ur, innocente et réveuse.
Me tenant ensuite près de lui, je lui dit que je découvrirais notre ennemi qu?aucune lois ni aucune force ne saurait protéger. Il parle de guerre mais je le contredis.
« Ce n?est pas une guerre, nous ne sommes pas sur un champ de bataille, nos adversaires n?ont hissé aucune bannière. Les trouver coûtera des vies et il me faudra de l?or pour délier les langues et mener à bien?
- Oui ! Venges-nous !
- Se venger n?est pas une réponse. Ils seront punis. »
La surprise se lit sur ses yeux. Ces mots ne devraient pas te surprendre après tout. Père?
« Oui... Prends tout l?argent dont tu auras besoin. Fais ce qu?il faut.
-Bien. Mais ce n?est pas tout. Il faut arrêter les secrets et me dire le pourquoi de cette alliance avec Oberyn Martell à moins que je doive l?apprendre de Théodore ?
-Théodore? Oui, tu dois savoir. C?est à Théodore de t?en parler, je vais lui dire de le faire.
- D?accord. Plus de secrets ? »
Il acquiesce du chef tandis je rejoins la porte et m?arrête juste avant de sortir. Une dernière chose?
« Veux-tu qu?Aragnel revienne ?
- Non. Je veux mes fils. »